PHILIPPE MEUNIER


Le monde de Julien - 2


LE MONDE DE JULIEN - 2E PARTIE




Premier chagrin d'amour

En 7e (aujourd’hui, on dit CM2), Julien était assis au premier rang de la classe. Juste devant le bureau de la maîtresse. Premier de la classe oblige. C’était à l’école Tipaerui, à l’entrée de Papeete. Les salles de classes n’avaient que trois murs. Un architecte génial avait résolu le problème de la torpeur tropicale en laissant un côté, l’entrée, complètement ouvert sur la fraîcheur d’un jardin luxuriant. Nul besoin de brasseur d’air et encore moins de climatiseur. L’alizé faisait son oeuvre à merveille.
A deux pupitres de lui était assise la belle Léone. Une Marquisienne brune à l’air farouche, avec ses cheveux noirs épais toujours bien coiffés en deux tresses qui mettaient en valeur son gracieux visage. Elle avait l’air tellement bien dans sa peau, à la fois souriante et imposant le respect. Un univers à part, inaccessible. Julien était sous le charme.
Un jour, n’y tenant plus, il décide de déclarer sa flamme. Il écrit sur un bout de papier: « Léone, je t’aime! » Agrémenté d’un coeur vermillon. Il plie la feuille en quatre et fait signe à son voisin de faire passer. Il surveille Léone du coin de l’oeil tandis qu’elle reçoit le billet doux. Elle le lit puis inscrit quelque chose dessus et le renvoie. Julien, le coeur battant, déplie et lit le message: « Je ne t’aime pas,
uri ». Julien relis, déconcerté. C’est surement une tournure de style. Une anti-phrase. Julien demande à son voisin de table qui domine la langue tahitienne: Ça veut dire quoi « uri »? « Chien! », répond son camarade. La probabilité d’une tournure de phrase venait de voler en éclat. Chien?!
Avec le recul, Julien s’était dit que c’était mieux ainsi. De toute façon Léone était une lionne et elle aurait écharpé le blondinet timide mais audacieux en trois coups de griffes.

Bien plus tard dans sa vie, Julien a rencontré une jeune femme. Elle était réceptionniste à l’Alliance française de Rio de Janeiro. Julien venait la voir presque tous les jours. Il la regardait derrière son comptoir, ses cheveux noirs impeccablement coiffés en deux tresses épaisses qui rehaussait son visage farouche de sud américaine. Elle semblait si sure d’elle, à la fois souriante et imposant le respect. Mystérieuse et inaccessible. Une lionne à coup sûr.
Un jour, Julien est venu avec un papier sur lequel il avait écrit quelque chose. Il l’a tendu à la belle Amazone. Pendant qu’elle le lisait, Julien était attentif au moindre changement dans son visage. Elle a fini par lever la tête. Elle l’a regardé dans les yeux, a pris son stylo et a écrit quelque chose sur le papier.
C’était un formulaire de demande de mariage.
C’était en 1978. Julien et Regina sont toujours mariés. Ils ont eu trois enfants, cinq petits enfants et pas mal de chiens.
Les rêves sont inaccessibles. Quand on n’ose pas tendre la main.


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