LE MONDE DE JULIEN - 6E PARTIE

Voyage intérieur
Julien en avait tellement entendu parlé. Il avait lu des articles et même un bouquin là-dessus. Du coup après une demie-heure sans aucun effet, il était un peu déçu.
« On s’était installé à la terrasse du Manava, le café à l’angle de l’avenue Bruat. Y avait Sony, Agnel, Mata, Alan, Sylvain, Jean-Marc et moi, Julien. On avait commandé à boire en attendant. C’était la première fois pour chacun de nous. On était coutumiers du pétard, mais ce truc mythique, que même les Beatles avait écrit une chanson dessus, c’était une première.
Les discussions allaient bon train, ça rigolait de conneries comme d’habitude.
Trente minute, trente-cinq, quarante, quarante-cinq… C’est là que j’ai commencé à voir la table onduler. Littéralement. « Wouah! » j’ai dit, "Vous avez vu? Y a la table qui ondule!"
Le serveur s’est retourné, genre WTF (bien que l’expression n’existait pas encore). Sony m’a donné un coup de pied sous la table. « On va y aller », il a dit. On a réglé l’addition et on est sorti. Moi, je rigolais nerveusement. C’est pas que la table qui ondulait, c’était tout le décors! Personnages compris.
On a roulé jusqu’à l’îlot de l’hôtel Maeva Beach. Un endroit féérique relié à la plage par un petit pont de bois. C’était le début de la soirée, le soleil était couché depuis deux heures mais l’endroit était éclairé par des lampadaires.
C’était notre spot favori pour passer des soirées entre potes. On fumait des joints et on racontait des histoires, hilares, jusqu’à pas d’heure.
Mais ce soir-là, c’était spécial. On a échangé pendant probablement une heure à propos des effets. C’était ahurissant. On était transportés dans un monde fantasmagorique avec des couleurs très saturées et tout en mouvement. On regardait un visage et il partait dans tous les sens. On se serait crus projetés dans le dessin animé Fantasia. Sauf que là, c’était réel. On était dedans.
Au bout d’un moment (la notion de temps était complètement déformée, elle aussi), l’effet est devenu tellement fort qu’on n’arrivait pratiquement plus à interagir. Ce qui se passait à l’intérieur était tellement intense que le désir de regarder à l’extérieur a disparu. J’ai fermé les yeux et j’ai commencé un voyage dans un rêve éveillé. Mes perceptions étaient multipliées par mille. Il n’y avait plus 4 dimensions mais une infinité.
A un moment, j’ai fixé mon attention sur un détail de ma vision. J’ai fait un zoom avant comme dans les films et je suis entré dans un point du paysage. De "l’autre côté", il y avait un autre univers et je savais que chaque point de ce nouvel univers pouvait être traversé pour accéder à une infinitude d’autre mondes. Chaque personnage, moi y compris, avait aussi une multitude d’existences simultanées qui expérimentaient l’infinité des réactions possibles pour chaque situation, à chaque instant. Du coup, je voyais les gens que je connaissais d’un point de vue complètement différent. Avec une grande bienveillance. Car comme moi, ils expérimentaient le monde - les mondes. J’étais absolument ébahi de ne découvrir que maintenant ce qui m’apparaissait comme la véritable réalité.
Il m’est impossible de raconter cette expérience qui a duré des heures parce qu’une fois "revenu", une fois les effets passés, on perd la capacité de percevoir cette réalité. Et donc, on l’oublie en grande partie. Je sais juste que je l’ai vue.
Par la suite, j’ai réessayé de retourner dans ce monde sans jamais y parvenir. Les fois suivantes étaient de véritable cauchemars éveillés. Je suis convaincu que comme pour toute les expériences - toutes sans exception - le simple fait d’essayer de les revivre est cela même qui nous plonge forcément dans une déception. Essayer de revivre le passé est la recette pour être insatisfait, frustré, désillusionné. La vie, c’est forcément quelque chose de nouveau, de différent de tout ce que l’on a vécu. On ne peut la percevoir qu’à travers des yeux candides qui s’émerveillent.
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